(Paris, le 7 juin 2018)
Les constructeurs automobiles multiplient les annonces en matière d’électrification, avec des chiffres impressionnants sur les investissements et le nombre de modèles. Mais, faut-il prendre à la lettre ces engagements ?
Alors que le déclin du Diesel se poursuit, et que l’étau se resserre sur les industriels de l’automobile (tests d’homologation plus stricts, échéance de 2021 pour les 95 g de CO2, objectif affiché de réduction de 30 % des émissions d’ici 2030), la voie la plus logique est celle de l’électrification. Comme cela a déjà été expliqué, ce terme recouvre une large gamme de solution depuis l’hybridation légère en mode 48 v au véhicule 100 % électrique (à batterie et à pile à combustible), en passant par l’hybride rechargeable.
Les plus gros chiffres sont avancés par Volkswagen qui, il est vrai, a beaucoup à se faire pardonner. Sous le nom de « Roadmap E », Volkswagen a l’intention de fabriquer jusqu'à trois millions de véhicules électriques par an d'ici 2025. Il prévoit de commercialiser 80 nouveaux modèles électrifiés pour l’ensemble du Groupe, dont 50 qui seront 100 % électriques. Dès cette année, neuf autres nouveaux véhicules, dont trois entièrement électriques, viendront s'ajouter à une gamme électrifiée déjà composée de huit véhicules électriques et hybrides rechargeables. A partir de 2019, il y aura un lancement de véhicule électrifié par mois, ce qui va permettre au groupe de devenir, à marche forcée, l’acteur qui propose la plus grande gamme de véhicules électriques au monde, toutes marques et régions confondues.
Dans l’orbite du groupe VW, Audi entend lancer 20 modèles électrifiés (hybrides rechargeables ou électriques) d’ici 2025, date à laquelle elle entend vendre 800 000 modèles de ce type par an. Le premier modèle 100 % électrique sera révélé à la fin de l’été : il s’agit d’un SUV avec une autonomie de 500 km. Le programme prévoit ensuite le lancement en 2019 de l’e-tron Sportback, puis de l’e-tron GT en 2020. Et ce n’est qu’un début. Audi et Porsche vont partager une plateforme commune qui permettra aux deux marques de sortir des modèles Premium et sportifs.
Précisons au passage que le groupe VW a déjà budgété à 50 milliards d’euros d’ici 2025 les investissements pour les batteries. Et qu’il a déjà passé des commandes pour 40 milliards ! C’est un engagement fort et un pari qui n’est pas sans risques.
La volonté est là aussi pour BMW. La marque allemande a mis à la route plus de 250 000 véhicules hybrides rechargeables et électriques depuis 2013. Elle se prépare à lancer 25 modèles électrifiés d’ici 2025. Parmi eux, il y aura la Mini électrique l’an prochain, puis le X3 électrique et l’i4 en 2020 et bien sûr la i Next en 2021 (qui sera électrique et autonome).
Et Mercedes n’est pas en reste. La marque à l’étoile a choisi la France pour assembler le premier modèle compact 100 % électrique de la gamme, qui lancera le nouveau label EQ. Ce sera un SUV, répondant au nom EQC, dont la production va démarrer en 2019 dans l’usine de Hambach en Moselle. C’est donc un cap symbolique pour Mercedes, qui doit lancer plus de 10 modèles à batterie d’ici 2022. Et à l’horizon 2020, Smart ne proposera plus que des modèles 100 % électriques.
Dans ce concert, on pourrait aussi citer Volvo. A partir de 2019, les nouveaux modèles seront soit 100 % électriques, soit hybrides rechargeables, soit a minima hybrides. Le constructeur Premium se fixe pour objectif de porter à 50 % la part de ses ventes de véhicules électriques d’ici 2025.
Même des marques réfractaires comme le groupe Fiat Chysler et sa marque Ferrari vont devoir se tourner vers l’électrification.
Et les français ? On sait que dans le cadre du plan de l’alliance Renault-Nissan-Mitsubishi (leader mondial de l’électromobilité avec un demi-million de véhicules rechargeables) pour 2022, la marque au losange table sur 8 modèles électriques, ainsi que 12 modèles électrifiés (hybrides et hybrides rechargeables). PSA a aussi un programme très ambitieux avec des sorties de nouveaux modèles électriques et hybrides rechargeables dès 2019. L’objectif est de décliner 100 % de la gamme en version électrifiée en 2025, avec un seuil de 80 % en 2023. Le groupe vient d’ailleurs de lancer la conception des moteurs électriques qu’il va produire avec l’aide de Nidec (qui a racheté Leroy Somer).
Et l’électrique est devenu un enjeu aussi pour la filière automobile française. La feuille de route pour la période 2018/2022 prévoit en effet de quintupler les ventes de véhicules électriques en cinq ans. En 2022, le parc de voitures rechargeables devrait donc atteindre le million, avec 600 000 VE et 400 000 hybrides rechargeables. L'Etat a promis en échange 100 000 bornes accessibles au public dans l'Hexagone en 2022 (contre 22 000 bornes aujourd'hui) et un maintien du bonus pendant encore 5 ans. La feuille de route a été avalisée par Bruno Le Maire, ministre de l’Economie et des Finances, Nicolas Hulot, ministre d'État, en charge de la Transition écologique et solidaire, et Elisabeth Borne, ministre chargée des Transports.
Quand on lit le document, on découvre toutefois que le soutien financier de l’Etat se manifestera par une « plus grande prise en charge des coûts de raccordements des bornes jusque fin 2021 ». Il ne va donc pas payer les bornes. Quant à la filière auto, elle emploie une phrase qui a son importance : « si la filière tient ses objectifs de vente ».
Autrement dit, on ne peut pas reprocher à l’industrie automobile de faire semblant. Elle met les moyens pour électrifier son offre, car c’est une condition de survie. Mais, il faudra des clients en face des véhicules. Et ces clients se détourneront de l'offre s’il n’y a pas de bornes et que la recharge prend trop de temps. Les Etats vont donc devoir assumer certains coûts.
Alors que le marché stagne à 1 %, on peut relativiser en estimant qu’en multipliant les ventes par 5 (objectif affiché), cela ne représentera encore que 5 % des ventes en 2025.